Longtemps, vivant une relation à distance entre Bruxelles et Madrid, Ben Isidore a adressé chaque soir une lettre de rupture à son compagnon. Ainsi prenait fin leur histoire pour mieux renaître chaque matin, comme une éternelle promesse de renouveau. De ces courriers est né le blog « Adieu et à demain », florilège de pensées sombres mais non dénuées d’espoir, vision sarcastique des hommes et de leurs travers, optimisme teinté d’ humour noir comme les lettres qu’il pose sur un papier blanc.

Discussion avec cet architecte des mots, à la personnalité ultra-sensible tant sur le sens des choses que sur les sensations perceptibles et notamment l’odorat qu’il reconnaît être l’une de ses sources d’inspiration.

Propos recueillis par Clémence Decolin

« Enfant j’ouvrais ma vitre à chaque fois que nous allions faire le plein, juste pour sentir. « 

B comme Barbecue

Pour moi c’est l’odeur des beaux jours, celle des repas de famille, de l’été, des bons moments. Ce que j’aime particulièrement c’est le départ du barbecue, avec l’odeur des brindilles, du bois, à laquelle succède celle des herbes de Provence. Mes parents vivent dans le Sud, et l’été c’est le passage obligé de toute la famille, les amis, il y a toujours du monde ! C’est l’odeur de ce brassage de personnes, des grandes tablées, avec le barbecue qui brûle à côté. Je distingue cependant l’odeur du feu et celle du barbecue. Enfant, quand nous sommes arrivés dans le Sud, il y a eu un gros incendie qui m’a beaucoup marqué. Il y a un bon et un mauvais souvenir.

C comme Café

J’aime l’odeur du café le matin, elle me réveille, me met de bonne humeur, symbolise le début de la journée. Je préfère cependant, à l’odeur furtive des machines à expresso, celle de la vieille cafetière italienne, qui embaume toute la pièce. Il y a quelque chose de rassurant dans cette odeur.

E comme Essence

Enfant j’ouvrais ma vitre à chaque fois que nous allions faire le plein, juste pour sentir. Et puis si on va plus loin, cette odeur d’essence, associée à celle des outillages, des premières pluies, et surtout de l’herbe coupée cela me renvoie au garage de ma grand-mère. La tondeuse à gazon était d’ailleurs une tondeuse … à essence !

F comme Fleur d’oranger

Difficile de trouver le vrai point de départ, mais pour moi c’est une odeur de gourmandise ! Je pense que cela vient des bugnes que mon père préparait quand j’étais petit, je pense que c’est la première chose que j’ai goûtée à la fleur d’oranger. Il y a aussi le chaudelait qui était une petite viennoiserie qui existait à Bourgoin-Jallieu qui était la ville où vivait ma grand-mère. C’était un petit pain plat, légèrement parfumé à la fleur d’oranger. J’ai grandi à Lyon, puis nous sommes partis dans le sud dans la région de Nîmes, et aujourd’hui encore dès que quelque chose est parfumé à la fleur d’oranger j’apprécie, même si je regrette l’utilisation de certains arômes de synthèse parfois très approximatifs.

« Ce qui est remarquable c’est que, où que l’on soit dans le monde, cette odeur est la même. »

P comme Parfums

Il y a trois grands parfums qui ont marqué mon enfance.
Le premier, Paris d’Yves Saint Laurent, qui était le parfum de ma mère. Elle s’en souvient peu, mais pour ma part c’est un parfum que je reconnaîtrais entre mille ! Je lui ai réoffert il y a quelques années, comme un clin d’œil, mais elle ne le porte plus aujourd’hui, au final c’était plus pour me faire plaisir que pour lui faire plaisir… Ensuite Chanel n°5, qui était celui de ma grand-mère. Je me souviens de la pièce, de la salle de bain, du pschitt, et de cette odeur qui restait indéfiniment. Car cette salle de bain avait l’odeur du n°5 ! Enfin, ma tante portait Opium d’Yves Saint Laurent, et là c’est un souvenir plus visuel. C’est la bouteille, le design du flacon qui me rendait fou ! Pourquoi, je ne sais pas, mais je me souviens de ce mystérieux flacon, j’étais scotché devant cette bouteille.

V comme Vieux livres

Quand je dis vieux je ne pense pas forcément à des livres du XVIIème, un livre qui a une dizaine d’années a déjà une odeur. Et ce qui est remarquable c’est que, où que l’on soit dans le monde, cette odeur est la même. Que ce soit dans ton placard, dans une librairie à Bordeaux, où je vis maintenant, ou au fin fond de l’Angleterre, l’odeur est semblable. C’est un mélange d’humidité, de papier, d’encre, qui m’a toujours marqué. Et puis il y a aussi quelque chose de rassurant là dedans, car quand on est en voyage, ou expatrié, cela qui nous ramène un peu chez nous, c’est une odeur que l’on connaît et, au delà de la littérature, l’odeur même de l’objet est rassurante. J’ai commencé à lire très tard, mais, comme je ne fais jamais les choses à moitié, j’ai lu énormément, à raison d’un livre tous les deux ou trois jours parfois. Paradoxalement j’ai totalement arrêté en début d’année dernière, au moment du premier confinement. J’ai repris durant l’été à un petit rythme de deux à trois livres par semaine.

Benjamin Isidore Juveneton

Parce qu’il n’existe pas qu’un seul chemin pour atteindre ses objectifs, et parce que les parcours atypiques forment souvent les touts les plus cohérents, c’est à la fac de droit que débute le parcours de Benjamin Isidore Juveneton. Ressentant très rapidement le besoin de se tourner vers quelque chose de plus créatif, il rejoint l’école d’architecture où naîtra tout son projet. Formé à l’architecture donc, mais aussi à l’art contemporain, c’est à cette seconde spécialisation que va aller sa préférence. Sa production artistique débute dans les rues, puis les mots passent des murs au papier, et différentes collaborations se mettent en place avec notamment la Cité de la mode et du design, Colette, Nike ou encore Montagut.
Aujourd’hui designer et plasticien, Ben Isidore est connu pour être l’auteur du projet « Adieu et à demain » dont découle le Dictionnaire Optimiste (publié aux éditions du Chêne).