#7 Questionnaire olfactif de Régis Wargnier

Mondialement connu pour Indochine, son chef d’œuvre oscarisé, le cinéaste Régis Wargnier revient cette année sur la scène médiatique avec un premier roman étonnant, Les Prix d’Excellence chez Grasset. Créateur d’images virtuoses, l’écrivain-réalisateur se révèle aussi être hyper-sensible à l’univers des odeurs et des parfums. Petite interview olfactive d’un homme qui aurait aussi rêvé de devenir nez…

Une odeur qui vous rendait heureux enfant ?

Celle de l’Ambre solaire. C’était l’odeur de la plage en été, du soleil et des bains de mer. Je me vois à cinq ou six ans descendre par les remblais pour atteindre la plage de Carnac, dans le Morbihan. L’odeur huileuse et sucrée m’enveloppait avant même d’arriver sur le sable. Dans les années 1950, presque la moitié des baigneurs s’aspergeaient de cette huile au parfum de patchouli, introuvable aujourd’hui. Il suffit de prononcer son nom pour faire jaillir une myriade de souvenirs de grandes vacances. Et puis c’est un joli mot, « ambre », non ?

Une autre odeur de vacances ?

L’odeur de l’océan Atlantique. Celle d’un port de Bretagne, puissante, que l’on respire à plein poumons en arrivant de Paris. Elle annonce le début des vacances. J’aime les odeurs marines, elles me revitalisent. Je pense aussi à l’odeur unique de la thalassothérapie, qui nous fait basculer dans un autre univers dès la porte d’entrée. Je recommande celle de Quiberon, la pionnière et la meilleure.

Une odeur de voyage ?

L’odeur de l’Inde. Je l’ai découverte il y a longtemps, dans un souk de Bombay. C’est l’odeur de la cuisine et des épices, un puissant mélange de cardamome, de curry, de curcuma, de cumin, de coriandre fraîche et de menthe. Plus tard, je l’ai retrouvée dans une épicerie de la rue Montorgueil à Paris, où j’aimais aller humer les sacs de jute aux parfums d’Orient. Malheureusement cette caverne d’Ali Baba a fermé…

« On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. »

Une odeur qui mérite le déplacement ?

Il y avait à Tokyo un marché aux poissons à l’odeur absolument hallucinante. Sur les bâches noires et luisantes s’étalait la chair rouge des thons aux côtés des poulpes et des calamars géants. Le spectacle était d’une puissance folle, mais j’ai toujours pensé que si je l’avais filmé, il aurait manqué l’odeur du sang de poisson, de l’iode et des algues. On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. Il m’est arrivé de faire visiter ce lieu à des amis, mais je dois avouer que je me suis senti un peu seul dans mon délire olfactif !

Une odeur dérangeante ?

Celle de l’eau de javel et de la serpillère sale. Lors de mon premier voyage en URSS, juste après la chute du mur, je me suis senti poursuivi par deux odeurs entêtantes : celles des produits d’entretien bas de gamme et de l’essence frelatée. En 1997, pendant le tournage du film Est Ouest (avec Sandrine Bonnaire et Catherine Deneuve), ces odeurs sont restées omniprésentes dans tous les lieux où j’allais. Elles resteront toujours pour moi associée au film et à la Russie.

Une odeur rassurante ?

L’odeur des garages. Depuis que je suis tout petit, j’aime l’odeur de l’essence et de l’huile de moteur. Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. Je m’y sens bien.

Une odeur flash-back ?

Celle du charbon. Pendant le tournage des scènes finales d’Indochine, toute l’équipe du film était gênée par l’odeur des mines voisines, qui chargeaient l’air de poussières. Pour moi, cette odeur particulière avait le pouvoir de me transporter instantanément du Vietnam à l’appartement de mon enfance, chauffé au poêle à charbon. J’aimais accompagner mon père à la cave pour aller remplir le seau à la lueur de l’ampoule. Le charbon était noir, salissant, j’adorais.

« Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. »

Une odeur végétale ?

Je suis peu sensible aux parfums floraux, je commence juste à m’y intéresser depuis peu. En revanche j’adore l’odeur des sous-bois. J’aime me sentir englouti dans la fraîcheur des arbres lors d’une marche en forêt, lorsque la canopée masque le ciel et que l’odeur de la terre se mêle à celle des écorces et des arbres. J’aime cette sensation sauvage et puissante, protectrice. L’été, le parfum de la garrigue fait aussi partie de mes préférés, avec ses sillages de thym, de sauge et de romarin.

Une odeur du quotidien addictive ?

L’odeur de la cuisine à l’ail et à l’huile d’olive. Celle du repassage. Et celle de la cuisson du riz. J’adore l’odeur du rice-cooker, c’est celle des gens qui ont peu mais qui savent l’apprécier.

Quel parfum portez-vous ?

Je suis fidèle à New-York de Nicolaï. C’est un parfum boisé, qui sent le poivre, le citron, le clou de girofle… C’est peut-être une coquetterie mais j’aime porter un parfum que je suis sûr de ne pas sentir sur tout le monde, c’est un peu ma signature olfactive. J’aurais d’ailleurs aimé être nez, je me suis même entraîné à un certain moment.

Quels sont vos parfums préférés ?

Selon moi, Eau sauvage de Dior, Vétiver de Carven et Habit Rouge de Guerlain restent des parfums inégalables, bien supérieurs aux molécules actuelles. J’ai un souvenir ému de Vent Vert de Balmain, porté par une certaine Marianne rencontrée sur les quais de la Trinité-sur-Mer lorsque j’étais adolescent. Plus récemment, j’ai été troublé au Festival d’Arcachon par Pour un Homme de Caron, un accord lavande vanille original. J’aime aussi reconnaître les notes boisées de Féminité du bois et Chêne de Serge Lutens. Pendant l’enregistrement de la voix-off d’Indochine, je me souviens aussi que Catherine Deneuve m’avait offert L’ombre dans l’eau de Diptyque. J’ai aussi souvent offert des parfums à mes acteurs et mes actrices…  De mémoire, j’ai dû choisir Coco de Chanel à  Sabine Azema et Monsieur Chanel à André Dussolier. Mais qu’il y a-t-il de plus difficile que d’offrir un parfum ?

 

Propos recueillis par Sonia Buchard

Régis Wargnier, cinéaste et écrivain

Régis Wargnier a réalisé dix films pour le cinéma, dont Indochine (1991), avec Catherine Deneuve, qui a remporté un Oscar et cinq Césars. Il a également réalisé Une Femme Française (1995), avec Emmanuelle Béart, Est Ouest (1999) avec Catherine Deneuve et Sandrine Bonnaire, Man to Man (2005) avec Joseph Fiennes et Kristin Scott Thomas, Pars vite et reviens tard (2007) d’après le roman de Fred Vargas. Les Prix d’excellence est son premier roman.

Commander le livre.

Cette histoire vous est offerte par

Magdalena BEYER a été la pionnière des produits cosmétiques 100% frais et de parfums sans alcool. Avec fridge by yDe, elle propose des soins sans conservateur, ni substance synthétique, ni alcool, qui se démarquent par le concept innovant dans le respect absolu de la nature. Chaque soin se compose d’une quantité sans précédent de principes actifs et d’huiles essentielles aussi précieuses que le Néroli ou la Rosa canina. Grâce à Fridge, votre peau respire. Le nec plus ultra des cosmétiques bio.

Le coin shopping

Crédits photo : Pxhere

La Parenthèse Inspirée remercie The French Publicist, Conseil en RP 2.0 & Celebrity Marketing

#1 Shoots olfactifs à Camalcaco

Après douze heures de vol dans un air saturé et climatisé, je survole le Golfe du Mexique en pensant à l’expérience sensorielle qui m’attend. Pour la troisième fois, je retourne en Amérique latine visiter une plantation de cacao. J’ai laissé derrière moi mes conférences, ma marque de chocolat et les fabuleuses dégustations avec mes amis chefs pâtissiers, pour m’immerger quatre jours au cœur des cacaoyers, là où naissent les premiers arômes chocolatés. À Comalcalco, dans la région du Tabasco, je sais que j’ai rendez-vous avec mes sensations olfactives.

Sur le tarmac de l’aéroport de Villahermosa, mes poumons sont saisis par une vague d’humidité et de chaleur. Sous les tropiques, cette première inspiration me fait toujours l’effet de redécouvrir ma respiration, comme si je devais ventiler en continu. En arrivant à l’Hacienda de la Luz, je dépose mon sac à dos dans ma chambre et pars rencontrer mes hôtes, impatiente d’aller découvrir les particularités de cette plantation de cacao.

Le lendemain, mon premier shoot de la journée est profondément relaxant et bienfaisant. À l’approche des pépinières, je me délecte de ces odeurs de terre, d’écorce et de sous-bois qui se mêlent de temps à autre aux notes sucrées des fruits tropicaux. Rythmé par les cris de singes, le concert des oiseaux est à peine interrompu par la voix rauque de mon guide qui m’invite à croquer dans une mangue juteuse, à caresser le tronc d’un bananier ou à sucer le mucilage acidulé qui entoure les fèves de cacao. À chaque pas, j’ai l’impression de me reconnecter à mes sensations. À chaque inspiration, je renoue avec mon odorat, qui semble soudainement décuplé par l’humidité de la forêt tropicale. Plus loin, un tas de cabosses de toutes les couleurs m’interpelle par son odeur extraordinairement verte. Le cacao est là, dans ces coquilles végétales d’une beauté à couper le souffle.

Croquer dans une mangue juteuse, caresser le tronc d’un bananier ou sucer le mucilage acidulé…

Mon deuxième shoot est corrosif. Il attaque les narines, et même à cinq mètres, je ne peux refreiner le geste de protéger mon nez de mon avant-bras, dévoré par les moustiques. Devant le bac de fermentation, l’odeur est presque insoutenable. Au secours ! Où est mon masque à oxygène ? Dans de grandes cuves en bois, les fèves entassées ont été recouvertes de feuilles de bananier pour bloquer leur processus de germination. En plongeant les doigts dans ce bain acétique aux effluves de médicaments et de produits chimiques, on sent le mucilage chaud et gluant qui colle à la peau. Terriblement agressive, cette puanteur toxique aux relents de cuir brûlant me fait l’effet d’un uppercut. Puis, lorsque mon nez s’habitue, il décèle l’astringence de la fève crue, cette odeur indescriptible qui se situe entre celle d’un végétal vivant et celle du cacao brut qui commence tout juste à dévoiler ses précurseurs d’arômes. Derrière cette odeur alcoolique qui me donne mal à la tête, une émotion surgit : la magie du cacao est en train d’opérer…

Mon troisième shoot est introspectif et instructif. À quelques mètres des étendues de fèves qui sèchent au soleil, je plonge mon visage dans d’épais sacs de jute, comme les experts en cacao qui viennent ici sélectionner leurs crus. Dans certains sacs, les fèves pourries sentent les champignons et l’humidité rance, tandis que dans d’autres, un délicieux parfum cacaoté explose dans un tourbillon de notes à fois chaudes et vertes. De sac en sac, je poursuis mon apprentissage pour parvenir à identifier les spécificités de chaque récolte en analysant l’odeur des fèves séchées. Un long travail de mémorisation et de visualisation, qui me plonge dans un état de concentration et d’excitation extrême.

Mon quatrième shoot est hypnotisant. Dans le four à 120°C, les fèves se tortillent et leurs coques s’envolent. Si elle n’est ni agréable ni mélodieuse, j’adore cette odeur de pain grillé et de café torréfié, subtil mélange de végétal cru et de presque brulé. Comme à chaque fois, je reste le plus longtemps possible devant le four, à guetter les arômes de toast, de cacao sec, d’écorce calcinée, fascinée à l’idée que le cacao pourrait brûler. Car le risque est bien là, et les flammèches qui dansent dans le four semblent rappeler qu’à tout moment les fèves brunes peuvent noircir et trahir leurs magnifiques promesses gustatives. Alors je guette des heures durant, et je m’enivre de l’odeur du feu qui laisse surgir les prémices de notes gourmandes et cacaotées….

Un délicieux parfum cacaoté explose dans un tourbillon de notes à fois chaudes et vertes

Mon dernier shoot est jouissif. Dans l’atelier de Vincente, la magie du chocolat atteint son paroxysme. Les fèves torréfiées et concassées ont été transformées en « grué », puis chauffées pour donner la fameuse « masse cacao ». Dans une grande cuve, cette pâte brune est enfin mélangée à un sucre de canne aux subtils arômes de caramel pour créer un chocolat d’une gourmandise absolue. En entrant dans le laboratoire, mes poumons s’emplissent d’un puissant parfum de chocolat chaud, qui semble pénétrer dans chacune de mes cellules. Vite, une louche ! Retenez-moi, je vais me jeter dans la cuve ! Avant même d’avoir goûté ce chocolat exceptionnel, mon odorat envoie à tout mon corps de puissants signaux de bien-être, de sécurité et de sérénité. L’odeur de chocolat qui est au centre de ma vie depuis l’enfance, prend ici toute sa dimension et sa force. Dans ma tête, les images se bousculent, du chocolat chaud de ma grand-mère à celui des churros encore tièdes plongés dans le liquide épais lors de mes virées nocturnes à Madrid. Au fond de moi, je ressens une profonde plénitude et un sentiment d’émerveillement intense devant le petit miracle qui vient d’avoir lieu sous mes yeux : un végétal qui pousse dans une jungle sauvage s’est transformé en élixir au goût de Paradis. Je porte enfin à mes lèvres cette irrésistible mixture, la laissant napper mon palais et libérer en bouche sa mélodie aromatique. Je plane.

Dans l’avion du retour, je me fais l’impression d’être une droguée du chocolat partie sniffer du cacao au Mexique. Je repense à mes shoots olfactifs pour essayer de les mémoriser sous toutes les facettes. L’odeur de bois mouillé et des feuilles mortes crissant sous mes pieds. Les notes de groseilles du mucilage frais. Les émanations chimiques du bac de fermentation. Le goût de la fève crue. Les arômes addictifs de la torréfaction. Et ce parfum envoûtant de chocolat qui me rend dingue ! Dès la semaine prochaine, je partagerai toutes ces émotions au cours de mes ateliers de chocologie, dans ma boutique de la rue Faraday, au Musée du Chocolat ou ailleurs. En parlant de chocolat, j’essaierai d’aider mes interlocuteurs à se reconnecter à leurs sensations et à se concentrer sur leurs émotions. Parce que j’en suis plus que jamais convaincue, c’est en écoutant ses cinq sens que l’on apprend à vivre en harmonie avec le monde.

Victoire Finaz

Propos recueillis par Sonia Buchard

Psychologue de formation, Victoire Finaz écrit une thèse sur la dégustation et l’évaluation sensorielle puis décroche un mastère spécialisé en marketing à HEC avant de décider de créer sa propre profession : chocologue ! Depuis 2006, elle développe des formations et ateliers de Chocologie, initiations à l’analyse sensorielle et gustative. Elle développe ensuite ses propres recettes et crée sa marque de chocolats fins, les Carrés Victoire, présentés dans des coffrets de nuanciers qui se déploient comme un éventail. Le succès est immédiat ! Depuis, Victoire Finaz s’est spécialisée dans la création de chocolats et de coffrets personnalisés pour les entreprises. Elle accompagne également les marques dans leur réflexion stratégique, pour les aider à se développer et à innover en phase avec les tendances du marché. Critique de chocolat reconnue, elle partage ses découvertes sur sa page Facebook et son compte Instagram et participe régulièrement à des jurys de dégustations.

www.victoirefinaz.com

La plantation de cacao de l’Hacienda de la Luz à Comalcalco

Cette histoire vous est offerte par : 

Crédits photos : Victoire Finaz