13 TARTUFI, un film d’Estelle Eonnet

Comment utiliser la vidéo pour évoquer un univers olfactif ? Autrement dit, peut-on faire ressentir une émotion olfactive uniquement avec des images et des sons ? Pour tenter l’expérience, cela faisait longtemps que j’avais envie de réunir deux amies. La première est une réalisatrice dont j’admire le travail depuis longtemps, la deuxième exploite un vignoble en Toscane. Le temps d’un week-end, je les ai invitées à réaliser ce petit film sur la cueillette de la truffe. L’expérience est-elle réussie ? A vous de nous dire !

Valentine Pozzo di Borgo

« Une invitation à plonger dans l’humus des sous-bois de Toscane, sur la piste d’un trésor olfactif enfoui… »

Estelle Eonnet, réalisatrice

 Réalisatrice et productrice de documentaires de création, Estelle Eonnet a étudié au sein du Sensory Ethnography Lab à Harvard, puis à reçu son master de journalisme à Science Po Paris. Son travail a été montré dans le monde entier, notamment au Carpenter Center for the Visual Arts à Boston et à la Société Civile des Auteurs Multimédia à Paris.
En 2019, Estelle a fondé Moment Films, une boîte de production qui a pour but de faire de l’impact producing autour de documentaires de création qui mettent en lumière des sujets sociétaux et environnementaux importants.

#7 Questionnaire olfactif de Régis Wargnier

Mondialement connu pour Indochine, son chef d’œuvre oscarisé, le cinéaste Régis Wargnier revient cette année sur la scène médiatique avec un premier roman étonnant, Les Prix d’Excellence chez Grasset. Créateur d’images virtuoses, l’écrivain-réalisateur se révèle aussi être hyper-sensible à l’univers des odeurs et des parfums. Petite interview olfactive d’un homme qui aurait aussi rêvé de devenir nez…

Une odeur qui vous rendait heureux enfant ?

Celle de l’Ambre solaire. C’était l’odeur de la plage en été, du soleil et des bains de mer. Je me vois à cinq ou six ans descendre par les remblais pour atteindre la plage de Carnac, dans le Morbihan. L’odeur huileuse et sucrée m’enveloppait avant même d’arriver sur le sable. Dans les années 1950, presque la moitié des baigneurs s’aspergeaient de cette huile au parfum de patchouli, introuvable aujourd’hui. Il suffit de prononcer son nom pour faire jaillir une myriade de souvenirs de grandes vacances. Et puis c’est un joli mot, « ambre », non ?

Une autre odeur de vacances ?

L’odeur de l’océan Atlantique. Celle d’un port de Bretagne, puissante, que l’on respire à plein poumons en arrivant de Paris. Elle annonce le début des vacances. J’aime les odeurs marines, elles me revitalisent. Je pense aussi à l’odeur unique de la thalassothérapie, qui nous fait basculer dans un autre univers dès la porte d’entrée. Je recommande celle de Quiberon, la pionnière et la meilleure.

Une odeur de voyage ?

L’odeur de l’Inde. Je l’ai découverte il y a longtemps, dans un souk de Bombay. C’est l’odeur de la cuisine et des épices, un puissant mélange de cardamome, de curry, de curcuma, de cumin, de coriandre fraîche et de menthe. Plus tard, je l’ai retrouvée dans une épicerie de la rue Montorgueil à Paris, où j’aimais aller humer les sacs de jute aux parfums d’Orient. Malheureusement cette caverne d’Ali Baba a fermé…

« On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. »

Une odeur qui mérite le déplacement ?

Il y avait à Tokyo un marché aux poissons à l’odeur absolument hallucinante. Sur les bâches noires et luisantes s’étalait la chair rouge des thons aux côtés des poulpes et des calamars géants. Le spectacle était d’une puissance folle, mais j’ai toujours pensé que si je l’avais filmé, il aurait manqué l’odeur du sang de poisson, de l’iode et des algues. On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. Il m’est arrivé de faire visiter ce lieu à des amis, mais je dois avouer que je me suis senti un peu seul dans mon délire olfactif !

Une odeur dérangeante ?

Celle de l’eau de javel et de la serpillère sale. Lors de mon premier voyage en URSS, juste après la chute du mur, je me suis senti poursuivi par deux odeurs entêtantes : celles des produits d’entretien bas de gamme et de l’essence frelatée. En 1997, pendant le tournage du film Est Ouest (avec Sandrine Bonnaire et Catherine Deneuve), ces odeurs sont restées omniprésentes dans tous les lieux où j’allais. Elles resteront toujours pour moi associée au film et à la Russie.

Une odeur rassurante ?

L’odeur des garages. Depuis que je suis tout petit, j’aime l’odeur de l’essence et de l’huile de moteur. Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. Je m’y sens bien.

Une odeur flash-back ?

Celle du charbon. Pendant le tournage des scènes finales d’Indochine, toute l’équipe du film était gênée par l’odeur des mines voisines, qui chargeaient l’air de poussières. Pour moi, cette odeur particulière avait le pouvoir de me transporter instantanément du Vietnam à l’appartement de mon enfance, chauffé au poêle à charbon. J’aimais accompagner mon père à la cave pour aller remplir le seau à la lueur de l’ampoule. Le charbon était noir, salissant, j’adorais.

« Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. »

Une odeur végétale ?

Je suis peu sensible aux parfums floraux, je commence juste à m’y intéresser depuis peu. En revanche j’adore l’odeur des sous-bois. J’aime me sentir englouti dans la fraîcheur des arbres lors d’une marche en forêt, lorsque la canopée masque le ciel et que l’odeur de la terre se mêle à celle des écorces et des arbres. J’aime cette sensation sauvage et puissante, protectrice. L’été, le parfum de la garrigue fait aussi partie de mes préférés, avec ses sillages de thym, de sauge et de romarin.

Une odeur du quotidien addictive ?

L’odeur de la cuisine à l’ail et à l’huile d’olive. Celle du repassage. Et celle de la cuisson du riz. J’adore l’odeur du rice-cooker, c’est celle des gens qui ont peu mais qui savent l’apprécier.

Quel parfum portez-vous ?

Je suis fidèle à New-York de Nicolaï. C’est un parfum boisé, qui sent le poivre, le citron, le clou de girofle… C’est peut-être une coquetterie mais j’aime porter un parfum que je suis sûr de ne pas sentir sur tout le monde, c’est un peu ma signature olfactive. J’aurais d’ailleurs aimé être nez, je me suis même entraîné à un certain moment.

Quels sont vos parfums préférés ?

Selon moi, Eau sauvage de Dior, Vétiver de Carven et Habit Rouge de Guerlain restent des parfums inégalables, bien supérieurs aux molécules actuelles. J’ai un souvenir ému de Vent Vert de Balmain, porté par une certaine Marianne rencontrée sur les quais de la Trinité-sur-Mer lorsque j’étais adolescent. Plus récemment, j’ai été troublé au Festival d’Arcachon par Pour un Homme de Caron, un accord lavande vanille original. J’aime aussi reconnaître les notes boisées de Féminité du bois et Chêne de Serge Lutens. Pendant l’enregistrement de la voix-off d’Indochine, je me souviens aussi que Catherine Deneuve m’avait offert L’ombre dans l’eau de Diptyque. J’ai aussi souvent offert des parfums à mes acteurs et mes actrices…  De mémoire, j’ai dû choisir Coco de Chanel à  Sabine Azema et Monsieur Chanel à André Dussolier. Mais qu’il y a-t-il de plus difficile que d’offrir un parfum ?

 

Propos recueillis par Sonia Buchard

Régis Wargnier, cinéaste et écrivain

Régis Wargnier a réalisé dix films pour le cinéma, dont Indochine (1991), avec Catherine Deneuve, qui a remporté un Oscar et cinq Césars. Il a également réalisé Une Femme Française (1995), avec Emmanuelle Béart, Est Ouest (1999) avec Catherine Deneuve et Sandrine Bonnaire, Man to Man (2005) avec Joseph Fiennes et Kristin Scott Thomas, Pars vite et reviens tard (2007) d’après le roman de Fred Vargas. Les Prix d’excellence est son premier roman.

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#6 Et si la vanille…

Et si un parfum pouvait vous faire perdre la tête ? Peut-on tomber amoureux d’une odeur, à en perdre complètement la raison ? Plus fou encore, se fourvoyer pour une odeur aussi commune que celle de la vanille ? Voilà un thème bien proustien, un héros tombe amoureux d’une femme qui n’était pas son genre. La vanille n’était pas mon genre non plus, cette note sucrée m’évoquait les évocations universelles de la gousse ; des souvenirs d’enfance régressifs et gourmands : le lait maternel, un flan préparé par une grand-mère, une glace mangée à même le pot un soir d’été. Comment décrire une odeur aussi banale ? En fonction des provenances, je lui donnais des nuances épicées, clou de girofle, parfois animales, cuir, musquées… Mais ça, c’était avant la découverte de Tahaa… C’est avec toutes ces images doucereuses en tête que j’atterris en Polynésie où un nouvel imaginaire allait se mettre en place.

« Les îles sous le vent », ce nom m’a toujours fait rêver, comme le cadre surréaliste d’un tableau de Dali. Quelque part perdu dans le Pacifique, un petit archipel est connu pour ses vanilleraies à la qualité exceptionnelle. L’île de Tahaa s’est depuis longtemps spécialisée dans le commerce de la gousse, même si toutes ses îles sœurs en produisent. Il semblerait qu’elles se soient réparti les spécialités naturellement : pour Bora Bora ce sont les jeunes mariés en quête de lagons turquoises, à Huahine l’authenticité et les criques encore sauvages, Reatea l’île sacrée, et Tahaa la vanille.

« Vanille, douce effluve sucrée, je te sens dès le matin : une gelée de goyave aromatisée à la gousse égaye le petit déjeuner, comme un clin d’œil à la journée qui nous attend »

Théodore vient nous chercher en bateau. Cheveux blancs, peau marquée par le soleil et la mer, le vieil homme est l’heureux propriétaire d’une modeste pension sur un motu, îlot près de Tahaa, nous y passons quelques jours. Le soleil s’est déjà couché, nous ne distinguons rien de la beauté qui nous entoure. Ce n’est que le le lendemain que le décor apparaît : une petite plage léchée par les timides vaguelettes d’une eau turquoise. Quel son étrange que celui d’un lagon ! Le silence de la plage et le vacarme des vagues au loin : à quelques centaines de mètres, le Pacifique se déchaîne sur la barrière de corail. Le vent s’est levé et balaie les nuages de la saison des pluies qui finit. Devant la terrasse du bungalow à quelques encablures flotte un petit motu couvert de cocotiers, minuscule bout de paradis oublié.

Vanille, douce effluve sucrée, je te sens dès le matin : une gelée de goyave aromatisée à la gousse égaye le petit déjeuner, comme un clin d’œil à la journée qui nous attend. Nous allons visiter l’île principale et ses vanilleraies. La gousse d’ici est ronde, peu épicée, et dépourvue des notes animales de ses cousines de Madagascar ou du Mexique. Amandée et poudrée, elle rappelle la douceur de la langue tahitienne et ses R roulés, ou la sensualité d’une femme qui danse le tamuré. Une odeur chaude et enveloppante nous accueille. Les gousses sont en train de sécher, elles devront ensuite « suer » dans un linge pour se charger en vanilline. La phase de maturation qui lui donne cette teinte brune est importante, et justifie son prix : la gousse ne peut se fendre si l’humidité n’est pas bonne, ou brunir sans gagner en arôme. Un après-midi me permet de comprendre toutes les étapes, de la fleur à la gousse, et le travail quasi chirurgical des « marieuses ». Les plants ont été importés sans leurs insectes pollinisateurs, c’est donc à la main que les femmes perpétuent le geste qui permet de les fructifier. Quel travail quotidien pour obtenir la précieuse épice !

« Si les chiens peuvent dormir à l’ombre de l’eau dans un tableau de Dali, pourquoi ne pourrais-je pas vivre sur une île sous le vent ? Je pourrais planter de la vanille et sentir son parfum envoûtant toute l’année ? »

Une fleur de tiaré sur l’oreille, Théodore nous attend au bateau pour retourner à la pension.
– « Vous savez que le motu est à vendre ? » me dit-il, alors que j’observais le petit territoire aux cocotiers en face de notre bungalow. « Le motu… et aussi une parcelle d’une vingtaine d’hectares sur Tahaa ».
-« A vendre ? avec une parcelle agricole ? Combien ? »
Un prix est certes important mais pas exorbitant… En quelques secondes, la machine à calculer se met en marche, le cerveau s’active… Si les chiens peuvent dormir à l’ombre de l’eau dans un tableau de Dali, pourquoi ne pourrais-je pas vivre sur une île sous le vent ? Je pourrais planter de la vanille et sentir son parfum envoûtant toute l’année ? Une vingtaine d’hectares, à raison de 3 mètres par plant, combien de kilos de gousses cela fait-il, sachant qu’elles réduisent de plus de 50% en séchant ? La vanille de Madagascar coûte si cher, cela pourrait vite rapporter. Pour sécuriser le revenu, il faudrait planter d’autres arbres : citronniers, pamplemoussiers, bananiers ? Je m’emballe… En vendant l’appartement de Paris, on pourrait acheter les deux lots et faire construire une villa sur le Motu. J’imagine déjà la pension spécialisée :  » Au menu ce soir : poisson à la vanille, rhum arrangé ». Et si, entre deux plongées, il me reste du temps : je développerai un bar a monoï, des ateliers parfum autour de l’accord oriental. Les couples argentés de Bora Bora viendraient par bateau acheter mon brin de vanille et immortaliser leur amour en créations aphrodisiaques…. J’apprendrais le tamuré, je me vêtirai de paréo toute l’année ! Adieu la grisaille parisienne ; la concurrence, le stress seront de l’histoire ancienne…

« Moi aussi, j’en ai planté de la vanille », me confie Théodore le lendemain. « 400 plants, j’ai tout perdu. Ils ont été mangés par des chèvres. Ici, c’est difficile de surveiller les plants, il faut être sur place…
« Et tu n’as jamais essayé de replanter ? » « Non, c’est trop dur… »
Notre hôte nous ramène à l’embarcadère. Je regarde le motu s’éloigner et j’imagine les gousses de vanille en train de sécher quelque part sur ma parcelle.
La Polynésie est un rêve qui ne peut durer une vie.
J’ai gardé avec moi quelques brins pour ensoleiller ma cuisine, ou réchauffer un rhum utile un soir d’hiver. A Paris, loin des eaux turquoises et des cocotiers de carte postale, est-ce que son pouvoir opèrera autant ?
Et si ?…

Aurélie Dematons

Diplômée d’une prestigieuse école de commerce et formée à la création de parfums, Aurélie Dematons associe une expertise marketing et une parfaite connaissance technique de la parfumerie fine avec 17 années d’expérience dans la création de produits d’hygiène beauté chez Coty, la formation olfactive et la conception d’identités olfactives. Professeur à l’Ecole Supérieure du Parfum, elle est aussi rédactrice de dossiers techniques pour Cosmétique Magazine et Expression Cosmétique. En 2010, elle fonde le Musc & la Plume, un laboratoire d’idées qui intervient dans tous les secteurs de l’olfaction.

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Parfumeur créateur, Vanina Muracciole explore des univers olfactifs inattendus pour diverses Maisons aussi bien transgressives qu’institutionnelles. Pianiste, elle écrit ses parfums en cherchant toujours l’accord le plus juste…

Crédits photo : Aurélie Desmatons

#5 – Triptyque

La déesse

Blanche, parfaite, et posée là, elle attend,
Fente où la langue s’inspire, belle bougresse,
Par excès de gourmandise, l’espoir déesse,
Que l’orage et les éclairs la poussent devant.

La vampire

Je te suce, te bois et te suce encore,
Petite mort au goût juteusement fraise,
Oh plaisirs interdits de l’esprit et du corps,
« Mais coupez moi encore ! Faîtes selon votre aise ! »

La philosophie

Loin de nous les pensées de nos nuages trop gris,
Et plongeons sans plus attendre dans la magie
De la philosophie exotique, timide, humide,
Quand son odeur nous envahit, douce et acide.

Mathieu Trautmann, photographe

Animé d’un insatiable besoin d’expression, Mathieu Trautmann est devenu photographe pour exprimer un point de vue singulier. Son travail résulte d’un dialogue silencieux établi avec le sujet et se nourrit d’une obsession : donner vie à la nature morte. Inscrites au cœur d’un univers soigné à l’élégance épurée, ses compositions nous invitent à porter un regard différent sur le monde qui nous entoure. Avec humilité, elles nous renvoient à ce que nous sommes : des êtres organiques, fragiles et forts, qui devraient se pencher plus souvent vers le sol pour écouter la nature nous raconter ce qu’elle sait de la vie.

Lin Sésostris N’kouri, poète

Écrivain et poète, Lin Sésostris N’kouri écrit des poèmes depuis qu’il a douze ans. Il travaille actuellement sur son premier roman, mais il a accepté sans hésiter de prendre la plume pour mettre des mots sur les émotions olfactives suscitées par les photographies de Mathieu Trautmann… en alexandrins évidemment !

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Quelle est l’odeur de votre libre arbitre? Quelle est l’odeur de votre poète intérieur ? Quelle solution aimeriez vous créer comme réponse à votre question profonde?
Nos ateliers sont créés comme des performances que les participants traversent le temps d’une journée initiatique. Ils sont destinés aux personnes curieuses en quête d’expériences.