L’abécédaire olfactif de Benjamin Isidore Juveneton

Longtemps, vivant une relation à distance entre Bruxelles et Madrid, Ben Isidore a adressé chaque soir une lettre de rupture à son compagnon. Ainsi prenait fin leur histoire pour mieux renaître chaque matin, comme une éternelle promesse de renouveau. De ces courriers est né le blog « Adieu et à demain », florilège de pensées sombres mais non dénuées d’espoir, vision sarcastique des hommes et de leurs travers, optimisme teinté d’ humour noir comme les lettres qu’il pose sur un papier blanc.

Discussion avec cet architecte des mots, à la personnalité ultra-sensible tant sur le sens des choses que sur les sensations perceptibles et notamment l’odorat qu’il reconnaît être l’une de ses sources d’inspiration.

Propos recueillis par Clémence Decolin

« Enfant j’ouvrais ma vitre à chaque fois que nous allions faire le plein, juste pour sentir. « 

B comme Barbecue

Pour moi c’est l’odeur des beaux jours, celle des repas de famille, de l’été, des bons moments. Ce que j’aime particulièrement c’est le départ du barbecue, avec l’odeur des brindilles, du bois, à laquelle succède celle des herbes de Provence. Mes parents vivent dans le Sud, et l’été c’est le passage obligé de toute la famille, les amis, il y a toujours du monde ! C’est l’odeur de ce brassage de personnes, des grandes tablées, avec le barbecue qui brûle à côté. Je distingue cependant l’odeur du feu et celle du barbecue. Enfant, quand nous sommes arrivés dans le Sud, il y a eu un gros incendie qui m’a beaucoup marqué. Il y a un bon et un mauvais souvenir.

C comme Café

J’aime l’odeur du café le matin, elle me réveille, me met de bonne humeur, symbolise le début de la journée. Je préfère cependant, à l’odeur furtive des machines à expresso, celle de la vieille cafetière italienne, qui embaume toute la pièce. Il y a quelque chose de rassurant dans cette odeur.

E comme Essence

Enfant j’ouvrais ma vitre à chaque fois que nous allions faire le plein, juste pour sentir. Et puis si on va plus loin, cette odeur d’essence, associée à celle des outillages, des premières pluies, et surtout de l’herbe coupée cela me renvoie au garage de ma grand-mère. La tondeuse à gazon était d’ailleurs une tondeuse … à essence !

F comme Fleur d’oranger

Difficile de trouver le vrai point de départ, mais pour moi c’est une odeur de gourmandise ! Je pense que cela vient des bugnes que mon père préparait quand j’étais petit, je pense que c’est la première chose que j’ai goûtée à la fleur d’oranger. Il y a aussi le chaudelait qui était une petite viennoiserie qui existait à Bourgoin-Jallieu qui était la ville où vivait ma grand-mère. C’était un petit pain plat, légèrement parfumé à la fleur d’oranger. J’ai grandi à Lyon, puis nous sommes partis dans le sud dans la région de Nîmes, et aujourd’hui encore dès que quelque chose est parfumé à la fleur d’oranger j’apprécie, même si je regrette l’utilisation de certains arômes de synthèse parfois très approximatifs.

« Ce qui est remarquable c’est que, où que l’on soit dans le monde, cette odeur est la même. »

P comme Parfums

Il y a trois grands parfums qui ont marqué mon enfance.
Le premier, Paris d’Yves Saint Laurent, qui était le parfum de ma mère. Elle s’en souvient peu, mais pour ma part c’est un parfum que je reconnaîtrais entre mille ! Je lui ai réoffert il y a quelques années, comme un clin d’œil, mais elle ne le porte plus aujourd’hui, au final c’était plus pour me faire plaisir que pour lui faire plaisir… Ensuite Chanel n°5, qui était celui de ma grand-mère. Je me souviens de la pièce, de la salle de bain, du pschitt, et de cette odeur qui restait indéfiniment. Car cette salle de bain avait l’odeur du n°5 ! Enfin, ma tante portait Opium d’Yves Saint Laurent, et là c’est un souvenir plus visuel. C’est la bouteille, le design du flacon qui me rendait fou ! Pourquoi, je ne sais pas, mais je me souviens de ce mystérieux flacon, j’étais scotché devant cette bouteille.

V comme Vieux livres

Quand je dis vieux je ne pense pas forcément à des livres du XVIIème, un livre qui a une dizaine d’années a déjà une odeur. Et ce qui est remarquable c’est que, où que l’on soit dans le monde, cette odeur est la même. Que ce soit dans ton placard, dans une librairie à Bordeaux, où je vis maintenant, ou au fin fond de l’Angleterre, l’odeur est semblable. C’est un mélange d’humidité, de papier, d’encre, qui m’a toujours marqué. Et puis il y a aussi quelque chose de rassurant là dedans, car quand on est en voyage, ou expatrié, cela qui nous ramène un peu chez nous, c’est une odeur que l’on connaît et, au delà de la littérature, l’odeur même de l’objet est rassurante. J’ai commencé à lire très tard, mais, comme je ne fais jamais les choses à moitié, j’ai lu énormément, à raison d’un livre tous les deux ou trois jours parfois. Paradoxalement j’ai totalement arrêté en début d’année dernière, au moment du premier confinement. J’ai repris durant l’été à un petit rythme de deux à trois livres par semaine.

Benjamin Isidore Juveneton

Parce qu’il n’existe pas qu’un seul chemin pour atteindre ses objectifs, et parce que les parcours atypiques forment souvent les touts les plus cohérents, c’est à la fac de droit que débute le parcours de Benjamin Isidore Juveneton. Ressentant très rapidement le besoin de se tourner vers quelque chose de plus créatif, il rejoint l’école d’architecture où naîtra tout son projet. Formé à l’architecture donc, mais aussi à l’art contemporain, c’est à cette seconde spécialisation que va aller sa préférence. Sa production artistique débute dans les rues, puis les mots passent des murs au papier, et différentes collaborations se mettent en place avec notamment la Cité de la mode et du design, Colette, Nike ou encore Montagut.
Aujourd’hui designer et plasticien, Ben Isidore est connu pour être l’auteur du projet « Adieu et à demain » dont découle le Dictionnaire Optimiste (publié aux éditions du Chêne).

L’ABCDaire d’Hélène Deguen

Associer l’art de l’olfactif et du gustatif .  Voilà comment Hélène Deguen, fondatrice de la pâtisserie Kubo définit son travail. Réalisant que de nombreuses matières premières iconiques en parfumerie pouvaient également être utilisées en cuisine, elle crée des recettes inédites et collabore avec deux parfumeurs de la maison Symrise afin de proposer à ses clients de sentir ses desserts avant de les goûter. C’est à travers quelques unes de ces matières premières mais aussi des souvenirs d’enfance ou de voyages, que nous vous invitons à découvrir l’univers olfactif de cette pâtissière inspirée !

La bergamote a  cette légère amertume que n’a pas le citron, et en même temps c’est beaucoup moins amer qu’un pamplemousse, avec une facette légèrement florale…

A comme Agrume

La bergamote est un agrume que j’adore et que j’ai réellement découvert en entrant dans le milieu de la parfumerie. C’est une odeur très intéressante car elle a cette légère amertume que n’a pas le citron, et en même temps c’est beaucoup moins amer qu’un pamplemousse, avec une facette légèrement florale. Et bien que le jus soit très acide, le zeste est beaucoup plus doux. En pâtisserie , je coupe cette acidité avec du jus de citron, et c’est plus le zeste qui va m’intéresser. Associé au citron de Menton, j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler cet agrume dans ma tartelette « Bergamote extravagante ».

B comme Butsudan

Dans les maisons japonaises, on trouve souvent de petits autels dédiés aux défunts. Ma grand-mère a une pièce entière consacrée à la mémoire de mon grand-père et d’autres ancêtres. Tous les matins, elle y dépose de la nourriture, du riz, des petits gâteaux, mais aussi de l’encens, et tout cela confère à cette pièce une odeur très particulière. Il m’est arrivé d’y dormir avec ma mère et ma sœur lors de nos séjours au Japon, et cette odeur d’encens et de nourriture, associée à celle du tatamis qui est herbacée, un peu foin, légèrement amandée, c’est quelque chose d’unique que je ne retrouve que dans ce lieu précis.

D comme Durian

Ce fameux fruit, que l’on trouve en Indonésie, est détectable immédiatement à son odeur sur les marchés. J’ai voulu aller au-delà de mes a priori olfactifs et le goûter. Je me suis rendue dans un endroit réputé pour proposer les meilleurs durians, et j’ai trouvé cela horrible ! Pour moi cela a vraiment le goût de l’odeur, c’est très puissant, il y a un côté butyrique, un peu acide, associé à une texture crémeuse, c’est assez écœurant. J’ai retenté l’expérience quelque temps après, on m’a dit que l’on appréciait la troisième fois… J’attends de voir !

I comme Indonésie

Lors de ce même voyage en Indonésie avec une amie, nous avons eu la chance de pouvoir visiter un champ de vétiver. Je me souviens que ces grandes feuilles vertes m’avaient d’ailleurs un peu lacéré les jambes !… Puis on a assisté à l’extraction de la matière, très artisanale, à l’ancienne, dans un alambic chauffé au bois. Sentir ce vétiver reste un souvenir olfactif unique pour moi, très particulier, avec une note très terreuse. C’est une matière que j’aime beaucoup, trop peu utilisée dans les notes féminines à mon sens. Nous avions également pu sentir de la noix de muscade, mais c’est l’odeur du vétiver qui restera pour moi celle de ce voyage en Indonésie.

J’adore l’odeur des tilleuls, très poudrée, très particulière… Quand il pleut, c’est très puissant !

M comme Mugicha

En Japonais Mugi=blé et cha=thé. C’est une boisson japonaise qui a une odeur de céréales grillées que j’adore, et qui, pour moi, symbolise vraiment l’odeur de l’été au Japon lorsque j’y passais mes vacances, enfant. J’en trouve en France également mais c’est différent, elle n’a pas la même saveur, c’est finalement très rattaché au lieu !

N comme Naphtaline

Cette odeur me rappelle celle des placards de ma grand-mère au Japon. Généralement peu appréciée, c’est pour ma part une senteur que j’affectionne tout particulièrement. Rattachée au Japon donc, mais aussi à ma grand-mère dont les vêtements sentent un peu cette odeur, cela représente à mes yeux quelque chose de très réconfortant.

T comme Tilleul

J’habite à Paris une rue bordée de tilleuls. Quand c’est la saison, chaque jour lorsque je vais travailler en vélo, entre mon appartement et ma boutique, je ne passe que par des rues où il y a des tilleuls. J’adore cette odeur, très poudrée, très particulière et parfois même assez lourde : quand il pleut c’est très puissant. Pour moi c’est une odeur qui annonce l’été à Paris.

V comme Vanille bleue

2018, voyage à l’Ile de la Réunion d’où est originaire le père de mon conjoint. Je découvre là-bas une vanille qui est la vanille bleue ! Très différente de celle de Madagascar, c’est une vanille qui coûte très cher mais qui est vraiment exceptionnelle. Moins vanilline, mais beaucoup plus boisée, avec un côté très « gousse », un peu animale, très puissante. Cette vanille a vraiment une élégance particulière, que j’avais envie de travailler et que j’utilise aujourd’hui dans mon mille-feuille.
La Réunion propose des vanilles produites en plus petites quantités mais très qualitatives. Pas de process d’échaudage, une macération un peu différente, plus longue, tout cela joue sur la qualité de la vanille et j’ai trouvé cela très intéressant.

Propos recueillis par Clémence Decolin

Hélène Deguen

Franco-japonnaise, Hélène débute sa carrière chez Kenzo, où elle découvre le monde du parfum. Rejoignant ensuite la maison de composition Symrise en tant que Marketing manager, elle y approfondit ses connaissances en parfumerie.
Passionnée par la cuisine, elle a l’idée de proposer des recettes inspirées de parfums via un blog intitulé « Menu Olfactif », ce qui marque un tournant dans sa carrière. Hélène décide alors de passer un CAP pâtisserie, quitte Symrise, ferme son blog, enchaîne stages et formations, et crée sa propre société.

C’est ainsi que naît Kubo, un univers de pâtisserie rattaché à l’olfactif. Ces deux sens sont indissociables, la rétro-olfaction permettant d’avoir le goût qui arrive par l’odeur. Chez Kubo, cela se traduit par une collection de duos parfum/pâtisserie inédite, avec une attention toute particulière portée sur le choix des matières premières. On retrouve notamment le citron de Menton IGP Bio ou encore la Vanille Bleue de l’Ile de la Réunion, pour Hélène « c’est un vrai plaisir de proposer de beaux produits, de travailler de belles matières premières et de pouvoir les faire découvrir ».

12 Le Questionnaire Olfactif de Loïc Corbery de la Comédie Française

Actuellement en pleine création de la pièce « Du côté de Guermantes », mis en scène par Christophe Honoré, où il interprète le rôle de Swann, Loïc Corbery a pris le temps de nous confier quelques émotions et souvenirs olfactifs. Des parfums de son enfance aux odeurs des théâtres, rencontre avec le 519ème sociétaire de la Comédie Française.

Propos recueillis par Clémence Decolin

« Lorsqu’un projecteur est à sa puissance maximum,  il y a toujours une odeur de brûlé, presque imperceptible, qui flotte dans l’air… »

Si vous étiez un parfum/une odeur ?

Immédiatement me vient l’idée du sable chaud, à la plage. Sensation de petite enfance, parfum évocateur de quelque chose de rassurant, réconfortant, enveloppant. C’est une odeur assez sourde aussi, voire assourdissante sous l’effet de la chaleur, et j’aime ce sentiment là.

L’odeur de votre enfance ?

Celle de mon jardin, l’odeur de la nature provençale. Je suis né à Avignon, donc ce serait ces odeurs de garrigue, mélange de lavande, de thym, de romarin, de terre, écrasées par le soleil.

Un souvenir olfactif marquant ?

Des odeurs très prégnantes, de mort, de putréfaction. Ce sont des odeurs qui me choquent et me fascinent en même temps. C’est là aussi quelque chose de lié à l’enfance. La vie, les aventures d’un petit garçon dans son jardin, qui devient un terrain de jeu incroyable, avec la vie, le soleil, la nature, la chaleur ambiante et parfois la mort, avec un oiseau en putréfaction, mon chat qui ramène des souris mortes, les pose dans un coin de ma chambre, et on s’en rend compte une semaine après en cherchant l’odeur.

Un parfum de voyage ?

J’ai beaucoup voyagé dans le Maghreb et au Moyen-Orient et c’est pour moi notamment un rendez-vous olfactif, et ce, en général, dès la sortie de l’aéroport.
Des odeurs fortes, un mélange de parfums et d’odeurs, bonnes et mauvaises. Des parfums très voluptueux, très forts, parfumés dans tout ce que l’on peut imaginer de plus agréable, associés à des odeurs d’épices, de transpiration, des choses plus animales.

Une odeur culinaire ?

Lors d’un autre voyage, en Chine, je me souviens précisément de l’odeur de cuisine, de nourriture, dans la rue. Un mélange de fumée, de braises, de chairs âcres, amères. Des odeurs de cuisson de viande, d’abats, à même la rue, à même le pavé, des odeurs de grillades surgissant du fin fond de la nuit. Des choses un peu étrangères à notre culture occidentale, qui peuvent même nous
paraître repoussantes, et qui donc sont fascinantes. Parfois les haut-le-cœur sont accompagnés d’une curiosité très particulière.

« Si la Comédie-Française était une odeur, ce serait une odeur chaude, douce, tendre, ce pourrait être une odeur de miel. »

Un lieu avec une empreinte olfactive particulière ?

Le premier plateau sur lequel j’ai mis les pieds quand j’avais quatorze, quinze ans. C’était un petit théâtre à Avignon. Cette odeur c’est celle de la poussière, celle de la combustion de la poussière sur la lentille du projecteur. Lorsqu’un projecteur est à sa puissance maximum, en général il y a toujours une odeur de brûlé, presque imperceptible, qui flotte dans l’air. C’est une odeur très particulière que l’on retrouve de théâtre en théâtre, en tous cas dans ceux qui ont une vie quotidienne, même ici dans le plus grand théâtre de France. Ça pour moi, cela raconte le théâtre.
Et dans ce théâtre, en plus de cette odeur du plateau, de la technique, il y avait aussi une odeur de linge, de tissus. Que ce soit les pendrillons, les rideaux du plateau, ou même les costumes. Ici à la Comédie-Française, l’odeur des costumes est plutôt une odeur printanière, il y a un entretien des costumes assez incroyable, quand on met une chemise elle est impeccable, elle a été lavée la veille, repassée le matin, c’est l’odeur du propre. Mais à l’époque, on était une bande de gamins de quinze ans, on se passait les costumes les uns les autres, qu’on enfilait, qu’on enlevait, on travaillait deux heures avec puis on les passait au suivant. Sans sentir la saleté, sans sentir mauvais, cela sentait le vécu, la vie des répétitions.

Si la Comédie-Française était une odeur ?

Ce serait une odeur chaude, douce, tendre, ce pourrait être une odeur de miel.
On a toujours tendance à comparer cette maison à une ruche, les gens qui y travaillent, les techniciens, les comédiens, sont comme les abeilles et le miel serait le spectacle que l’on donne à voir tous les soirs. Oui, ce serait une odeur de miel.

L’olfactif au théâtre ?

En tant que spectateur, j’adore quand sur le plateau interviennent des éléments réels, de l’eau par exemple, ou de la terre, et la présence de ces éléments naturels provoque parfois aussi une odeur, et je suis très friand de cela. J’aime beaucoup aussi quand le metteur en scène fait usage de la fumée, sous quelque forme que ce soit d’ailleurs, mais quand tout à coup, l’odeur de cette fumée me gagne moi en tant que spectateur, j’adore ça ! De la même manière, si quelqu’un fume en scène, j’aime quand l’odeur de cigarette arrive à mon nez, de manière extrêmement sourde, j’aime quand le réel intervient de manière sensorielle.

Quel type d’odeurs préférez-vous ? Quelles sont celles qui vous dérangent ?

Il y a une odeur qui me dérange énormément, qui me met très mal à l’aise, c’est une odeur dont on a du mal a se débarrasser quand elle est là, elle s’installe, c’est l’escooufi, en Provence, c’est très caustique, un peu rance. C’est cette sensation, cette odeur, du linge oublié dans la machine. Une odeur de renfermé, de léger pourrissement. Et je ne connais pas de mots de la langue française pour définir cette odeur, en revanche en Provence c’est l’escooufi, « ça sent l’escooufi ».
Les odeurs que j’aime sont des odeurs sourdes, je n’aime pas quand le parfum est trop présent.

Les parfums que vous aimez ?

J’aime les parfums épicés, corsés, c’est très paradoxal avec ce que je viens de dire avant mais les parfums fleuris, printaniers, ne m’attirent pas plus que ça. J’aime porter des choses qui auront plutôt tendance à me donner du caractère. Il y a chez Serge Lutens un parfum qui s’appelle « Fumerie Turque », on est dans le voyage, j’aime les noms évocateurs de cette marque…

Loïc Corbery

C’est au hasard d’une rencontre, alors qu’il n’est âgé que de six ans, que Loïc Corbery fait ses premiers pas d’acteur à Avignon sous la caméra d’Agnès Varda.
De cette expérience naît une passion du jeu qu’il développera d’abord dans le théâtre amateur, avant de rejoindre le Cours Perimony, puis le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris dans les classes de Stuart Seide et de Jacques Lassalle. Menant en parallèle une carrière d’acteur au cinéma et à la télévision, il intègre la troupe de la Comédie-Française en 2005, et en devient le 519ème sociétaire en 2010. Il y sera l’interprète de rôles majeurs tels que Christian dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, le Prince de La Double Inconstance de Marivaux, Alceste dans Le Misanthrope de Molière. Il joue également  dans Les Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti, pièce qui a ouvert l’édition 2015 du Festival d’Avignon.

© Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française

Crédits photos : Arthur Lenoir & Cosimo Mirco Magliocca, coll. Comédie-Française

#10 Le questionnaire olfactif d’Eric Pellerin

Dans le Nord Cotentin, le jardin botanique de Vauville est un petit paradis subtropical où s’épanouissent un millier d’espèces de l’hémisphère austral. Cette improbable oasis, classée Jardin remarquable depuis 2004, est le fruit de trois générations de passionnés. Crée par Éric et Nicole Pellerin il y a soixante-dix ans, elle a été magnifiée par Guillaume Pellerin et Cléophée de Turkheim, qui ont enrichi la collection botanique et réunit une extraordinaire collection d’outils anciens. Depuis 2017, le jardin de Vauville a été repris par leur fils Eric Pellerin, aux côtés de Guillaume de Lestrange. Tout en veillant sur le désordre poétique et organisé du lieu, il y cultive une passion pour les odeurs, certainement héritée de son aïeul, le fondateur de Roger & Gallet… Rencontre avec un passionné.

« l’odeur d’un jardin après la pluie, de la terre humide,
mêlée à une sensation très fraîche qui vient de la mer. »

1. Si vous étiez un parfum/une odeur ?

Ce pourrait être le mélange de deux odeurs : l’odeur d’un jardin après la pluie, de la terre humide, mêlée à une sensation très fraîche qui vient de la mer. Ceci étant bien sûr lié à Vauville, où ces odeurs venant du jardin provoquent un sentiment bienfaisant lors de ballades après la pluie, souvent le matin. Mais pour en faire un parfum j’aimerais y ajouter une note un peu plus soutenue comme le patchouli que j’affectionne particulièrement qui est pour moi une odeur réconfortante, chaleureuse, rassurante, généreuse. Cette odeur m’évoque une grande-tante grecque qui avait un intérieur rouge, en velours, et qui était toujours très maquillée et parfumée.

2. Quel type d’odeur préférez-vous ?

Il y a des senteurs de plantes australes qui sont très agréables. Par exemple dans le jardin de Vauville il y a une liane de Corée du Nord qui s’appelle Holboellia qui est un mélange entre le jasmin, le muguet et la fleur d’oranger. Début avril les Skimmia japonica sont assez incroyables aussi, des fleurs blanches, pas trop capiteuses et assez légères qui génèrent des effluves dans les douves du jardin. L’Eupatorium du Mexique également est un arbuste dont il émane une senteur proche de la myrrhe et de l’encens qui est assez prégnante.

3. Celles qui vous dérangent ?

Il y a le chlore, l’odeur du chlore dans les maisons me dérange car cela masque les odeurs de la vie, cela tue tout et moi j’aime ce qui est vivant ! Sinon, pas vraiment. Pour moi les odeurs évoquent la vie, avec ce qu’elle a de magnifique et de plus sombre. Cela permet de créer des balances, des contrastes. On peut faire le parallèle entre la vie et la mort. Si tout sentait bon ce serait ennuyeux.

4. Un souvenir olfactif marquant ?

Le parfum Diorissimo de ma grand-mère. Toujours souriante, du haut de ses quatre-vingt dix ans, c’est toujours une joie de l’embrasser car il y a cet élan de fraîcheur, et ce muguet lui donne un boost de jeunesse et qui fait beaucoup de bien. Croiser quelqu’un qui porte ce parfum dans la rue, c’est immédiatement retrouver ma grand-mère, et c’est assez beau de voir à quel point un parfum colle à une personne.

5. L’odeur de votre enfance ?

La cannelle me fait pas mal régresser ! Ma famille maternelle étant alsacienne, cela me replonge tout de suite dans les goûters de Noël, la Saint Nicolas, le pain d’épices, les clémentines … Les odeurs de pommes et de cannelle me renvoient directement en enfance.

« C’est très frais, très chlorophyllien mais en même temps si léger qu’on a l’impression de suivre l’herbe qui s’envole au passage de la tondeuse et qui invite au voyage et à l’imaginaire. »

6. Un parfum de voyage ?

Il y a une odeur incroyable dans le temple de Jokhang à Lhassa au Tibet. C’est un mélange de beurre de yack, de bois et d’encens. C’est vraiment une senteur particulière, totalement liée à ce temple qui est un des cœurs du bouddhisme au Tibet à coté du Palais du Potala. C’est un lieu qui a plus de deux mille ans, et qui cumule tout un tas d’odeurs, de bois, de gras, mais aussi de cheveux des pèlerins qui ont fait des centaines de kilomètres à pied, ça sent un peu la transpiration, c’est un peu animal, les gens viennent avec des chèvres, il y a aussi l’odeur de suie des bougies, dont les mèches sont assez grosses et pas coupées ce qui apportent un peu noirceur, une note brûlée.

7. Une odeur culinaire ?

La paella ! Cela m’évoque les épices, le paprika, c’est généreux, gourmand, c’est un plat qui se partage, qui est convivial, c’est une senteur très joyeuse pour moi! Également lorsque je vivais à Paris les odeurs de cuisine de ma concierge quand je rentrais le soir, cela suscite l’imaginaire, la curiosité, ça parle de la personne, cela peut déranger mais personnellement je trouve cela réconfortant, c’est une odeur de vie.

8. Quelles odeurs vous transportent ?

Il y a cette fameuse odeur d’herbe coupée, que je côtoie souvent au Jardin. Pour moi c’est une forme de légèreté, liée à l’envol. C’est très frais, très chlorophyllien mais en même temps si léger qu’on a l’impression de suivre l’herbe qui s’envole au passage de la tondeuse et qui invite au voyage et à l’imaginaire.

9. Un lieu avec une empreinte olfactive ?

Chez ma grand-mère en Provence, il y a une senteur typique de sa maison, une petite touche qui nous fait penser « Ah ok, là on est arrivés à Eygalières !»
Au rez-de-chaussée, à l’ombre, il y a quelque chose de très particulier, accueillant mais sans trop l’être. Ça sent le meuble en bois, le textile, il y a un odeur un peu sèche mais aussi la note humide et fraîche des orages d’été.

10. Quelle est la place des odeurs dans votre vie ?

J’utilise mon sens olfactif tous les jours! Avant de reprendre le jardin je suis passé par la réalisation et le cinéma. L’audiovisuel, les décors, font aujourd’hui toujours partie de ma vie. Mon imaginaire étant assez fort, j’aime tout ce qui peut participer à s’échapper et les odeurs en font partie. J’aime avoir dans mon entrée une bougie parfumée, je me parfume chaque jour, et je vis dans un jardin où l’olfactif est présent continuellement. Vivre à la campagne permet d’être plus à l’écoute de ses sens.

11. Pour finir, quel est votre parfum ? Vos parfums préférés ?

Je porte actuellement Eau de Givenchy, qui n’est pas sans rappeler le Ptisenbon de Tartine et Chocolat, qui est une odeur très légère, une eau comme son nom l’indique. Et ce genre d’odeur permet de se rapprocher de la pluie, du vent, de l’iode.
En hiver j’aime porter du patchouli. Le Patchouli Impérial de la Collection Privée Christian Dior. J’aime aussi beaucoup Kenzo Homme, que j’ai porté plus jeune et que j’ai toujours trouvé très identifiable et très curieux dans son coté iodé, marin. Enfin l’Homme Sport de chez Roger et Gallet, que j’aime porter de temps en temps, mon grand père ayant travaillé chez Roger et Gallet. Il y a là aussi quelque chose de très frais.

Propos recueillis par Clémence Decolin

Eric Pellerin de Turkheim

Arrière-arrière petit fils de l’un des fondateurs de Roger & Gallet, le réalisateur Eric Pellerin a repris il y a deux ans le jardin botanique de Vauville créé par son grand-père il y a sept décennies. Il poursuit ainsi l’œuvre de ses parents – Guillaume Pellerin et Cléophée de Turkheim – qui ont fait de ce lieu l’un des plus beaux jardins de France.

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#7 Questionnaire olfactif de Régis Wargnier

Mondialement connu pour Indochine, son chef d’œuvre oscarisé, le cinéaste Régis Wargnier revient cette année sur la scène médiatique avec un premier roman étonnant, Les Prix d’Excellence chez Grasset. Créateur d’images virtuoses, l’écrivain-réalisateur se révèle aussi être hyper-sensible à l’univers des odeurs et des parfums. Petite interview olfactive d’un homme qui aurait aussi rêvé de devenir nez…

Une odeur qui vous rendait heureux enfant ?

Celle de l’Ambre solaire. C’était l’odeur de la plage en été, du soleil et des bains de mer. Je me vois à cinq ou six ans descendre par les remblais pour atteindre la plage de Carnac, dans le Morbihan. L’odeur huileuse et sucrée m’enveloppait avant même d’arriver sur le sable. Dans les années 1950, presque la moitié des baigneurs s’aspergeaient de cette huile au parfum de patchouli, introuvable aujourd’hui. Il suffit de prononcer son nom pour faire jaillir une myriade de souvenirs de grandes vacances. Et puis c’est un joli mot, « ambre », non ?

Une autre odeur de vacances ?

L’odeur de l’océan Atlantique. Celle d’un port de Bretagne, puissante, que l’on respire à plein poumons en arrivant de Paris. Elle annonce le début des vacances. J’aime les odeurs marines, elles me revitalisent. Je pense aussi à l’odeur unique de la thalassothérapie, qui nous fait basculer dans un autre univers dès la porte d’entrée. Je recommande celle de Quiberon, la pionnière et la meilleure.

Une odeur de voyage ?

L’odeur de l’Inde. Je l’ai découverte il y a longtemps, dans un souk de Bombay. C’est l’odeur de la cuisine et des épices, un puissant mélange de cardamome, de curry, de curcuma, de cumin, de coriandre fraîche et de menthe. Plus tard, je l’ai retrouvée dans une épicerie de la rue Montorgueil à Paris, où j’aimais aller humer les sacs de jute aux parfums d’Orient. Malheureusement cette caverne d’Ali Baba a fermé…

« On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. »

Une odeur qui mérite le déplacement ?

Il y avait à Tokyo un marché aux poissons à l’odeur absolument hallucinante. Sur les bâches noires et luisantes s’étalait la chair rouge des thons aux côtés des poulpes et des calamars géants. Le spectacle était d’une puissance folle, mais j’ai toujours pensé que si je l’avais filmé, il aurait manqué l’odeur du sang de poisson, de l’iode et des algues. On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. Il m’est arrivé de faire visiter ce lieu à des amis, mais je dois avouer que je me suis senti un peu seul dans mon délire olfactif !

Une odeur dérangeante ?

Celle de l’eau de javel et de la serpillère sale. Lors de mon premier voyage en URSS, juste après la chute du mur, je me suis senti poursuivi par deux odeurs entêtantes : celles des produits d’entretien bas de gamme et de l’essence frelatée. En 1997, pendant le tournage du film Est Ouest (avec Sandrine Bonnaire et Catherine Deneuve), ces odeurs sont restées omniprésentes dans tous les lieux où j’allais. Elles resteront toujours pour moi associée au film et à la Russie.

Une odeur rassurante ?

L’odeur des garages. Depuis que je suis tout petit, j’aime l’odeur de l’essence et de l’huile de moteur. Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. Je m’y sens bien.

Une odeur flash-back ?

Celle du charbon. Pendant le tournage des scènes finales d’Indochine, toute l’équipe du film était gênée par l’odeur des mines voisines, qui chargeaient l’air de poussières. Pour moi, cette odeur particulière avait le pouvoir de me transporter instantanément du Vietnam à l’appartement de mon enfance, chauffé au poêle à charbon. J’aimais accompagner mon père à la cave pour aller remplir le seau à la lueur de l’ampoule. Le charbon était noir, salissant, j’adorais.

« Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. »

Une odeur végétale ?

Je suis peu sensible aux parfums floraux, je commence juste à m’y intéresser depuis peu. En revanche j’adore l’odeur des sous-bois. J’aime me sentir englouti dans la fraîcheur des arbres lors d’une marche en forêt, lorsque la canopée masque le ciel et que l’odeur de la terre se mêle à celle des écorces et des arbres. J’aime cette sensation sauvage et puissante, protectrice. L’été, le parfum de la garrigue fait aussi partie de mes préférés, avec ses sillages de thym, de sauge et de romarin.

Une odeur du quotidien addictive ?

L’odeur de la cuisine à l’ail et à l’huile d’olive. Celle du repassage. Et celle de la cuisson du riz. J’adore l’odeur du rice-cooker, c’est celle des gens qui ont peu mais qui savent l’apprécier.

Quel parfum portez-vous ?

Je suis fidèle à New-York de Nicolaï. C’est un parfum boisé, qui sent le poivre, le citron, le clou de girofle… C’est peut-être une coquetterie mais j’aime porter un parfum que je suis sûr de ne pas sentir sur tout le monde, c’est un peu ma signature olfactive. J’aurais d’ailleurs aimé être nez, je me suis même entraîné à un certain moment.

Quels sont vos parfums préférés ?

Selon moi, Eau sauvage de Dior, Vétiver de Carven et Habit Rouge de Guerlain restent des parfums inégalables, bien supérieurs aux molécules actuelles. J’ai un souvenir ému de Vent Vert de Balmain, porté par une certaine Marianne rencontrée sur les quais de la Trinité-sur-Mer lorsque j’étais adolescent. Plus récemment, j’ai été troublé au Festival d’Arcachon par Pour un Homme de Caron, un accord lavande vanille original. J’aime aussi reconnaître les notes boisées de Féminité du bois et Chêne de Serge Lutens. Pendant l’enregistrement de la voix-off d’Indochine, je me souviens aussi que Catherine Deneuve m’avait offert L’ombre dans l’eau de Diptyque. J’ai aussi souvent offert des parfums à mes acteurs et mes actrices…  De mémoire, j’ai dû choisir Coco de Chanel à  Sabine Azema et Monsieur Chanel à André Dussolier. Mais qu’il y a-t-il de plus difficile que d’offrir un parfum ?

 

Propos recueillis par Sonia Buchard

Régis Wargnier, cinéaste et écrivain

Régis Wargnier a réalisé dix films pour le cinéma, dont Indochine (1991), avec Catherine Deneuve, qui a remporté un Oscar et cinq Césars. Il a également réalisé Une Femme Française (1995), avec Emmanuelle Béart, Est Ouest (1999) avec Catherine Deneuve et Sandrine Bonnaire, Man to Man (2005) avec Joseph Fiennes et Kristin Scott Thomas, Pars vite et reviens tard (2007) d’après le roman de Fred Vargas. Les Prix d’excellence est son premier roman.

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