#9 Le Marché des enfants rouges

Un des rendez-vous incontournables du microcosme parisien est le mythique brunch du dimanche matin. Lorsque vous vous êtes résolu à adopter ce mode de vie, il vous reste à savoir où déguster le meilleur brunch dans la capitale. À ce moment là, plusieurs options s’offrent à vous : le « déjeuner dominical » de l’Hôtel Bachaumont, Judy, le Pavillon des Canaux, le Marché des Enfants Rouges, le Fouquet’s… Pour ma part, j’ai choisi le Marché des Enfants Rouges où se nichent des centaines d’odeurs, de fumées, d’arômes et de couleurs dont l’exubérance est à son comble le dimanche.

Edifié en 1615, cet espace couvert doit son nom à l’hospice des Enfants Rouges, orphelins dont l’uniforme était rouge.

Je m’engage dans la rue de Bretagne par un dimanche pluvieux, où les brocanteurs s’amoncèlent le long du trottoir. Déjà, les effluves de café et de tabac provenant de la terrasse du Progrès me secouent le nez. L’odeur de la pluie estompe les effluves de pain chaud provenant de la boulangerie Chez Manon ainsi que ceux sortant de la rôtisserie Stevenot. À ma droite, des sapins qui attendent patiemment un foyer sur le bord de la route tentent de me séduire en m’offrant leur délicieux parfum, identité olfactive des fêtes de fin d’année.

« les herbes aromatiques, débordant de leur panier en osier, nous offrent une émanation végétale pour peu que l’on prenne la peine de rapprocher son nez. »

Enfin, j’arrive sous l’arche m’indiquant l’entrée du Marché des Enfants Rouges. J’y suis accueillie par une haie de fleurs, mais seules les tulipes et les roses de Noël parviennent à dégager un faible parfum. Les jacinthes, quant à elles attendent tranquillement leur floraison sur le comptoir pour nous enivrer.

En cette période, une ambiance épicée et fruitée due au vin chaud plane entre les allées, happant les nez innocents, presque inattentifs des badauds. A ma gauche, un stand de cuisine vegan propose des muffins fraîchement sortis du four. Alléchée par leur effluve gourmande et chocolatée, je m’oriente finalement et raisonnablement sur leur jus détox « pomme, carotte, gingembre ». En bouche, l’acidité de la pomme et le piquant du gingembre contrastent avec l’aspect terreux et légèrement gourmand de la carotte.

Le stand suivant, Chez Wagner, me permet de poursuivre ma lancée végétale. Disposés en cercle, légumes, herbes, fruits et graines cohabitent, formant un étalage haut en couleurs. Les oignons dégagent leur parfum piquant et vert, le seul qui arrive à faire pleurer les garçons , tandis que les herbes aromatiques, débordant de leur panier en osier, nous offrent une émanation végétale pour peu que l’on prenne la peine de rapprocher son nez. Près de la caisse, un presse-agrume ayant servi un peu plus tôt, s’atténue peu à peu du parfum acide, gourmand et fruité des oranges.

Mais il suffit que je m’en éloigne d’un pas pour être soudainement envelopée par les relents iodés du poissonnier. Une évocation sensorielle de froid, de chair et de marée m’encouragent à continuer d’avancer, sans m’arrêter.

« les pains et les croissants s’enrobent d’un arôme ultra beurré, contrastant avec l’odeur des oignons dorant dans une poêle à proximité »

Derrière moi, un autre fleuriste se tient en plein milieu des commerces de bouche. Miraculeusement, alors que les fleurs de l’entrée se faisaient discrètes, celles-ci sont beaucoup plus communicatives, et parviennent même à créer un aura végétal, une sorte de barrière au gustatif autour de la tonnelle.

Juste derrière la poissonnerie, La Petite Ferme d’Inès propose un atelier de dégustation, d’où émane la senteur animale et lactée des fromages et l’odeur, une fois encore, du pain frais. En accompagnement, un vin rouge est proposé (so french).

Juste à sa droite, un monticule de couscous attire mon attention. Plus je m’en approche, plus les senteurs typiquement orientales m’invitent au voyage : l’arôme des légumes se marie à celui des fruits secs, des sauces, du poulet, des merguez…

Mais la concurrence se trouve à quelques mètres de là, en rupture avec l’odeur gourmande du traiteur marocain. Attablés au bar, des visiteurs dégustent des spécialités libanaises au parfum gras provenant de l’huile dans laquelle baignent les falafels.

Dans l’allée se trouvant derrière la fromagerie, je découvre « Alain miam miam », dont les pains et les croissants s’enrobent d’un arôme ultra beurré, contrastant avec l’odeur des oignons dorant dans une poêle à proximité.

Ce mariage de saveurs m’ayant largement ouvert l’appétit, je décide enfin de bruncher à l’Estaminet, où les odeurs s’allient enfin au goût. Comment mieux commencer un dimanche ?

Margaux Le Paih Guérin

Étudiante en troisième année à l’École Supérieure du Parfum, Margaux Le Paih Guérin a créé son blog Le Nez en l’Air il y a un an. Passionnée de parfums et de botanique, elle souhaite sensibiliser à l’olfactif, sens primitif par excellence et trop souvent mis de côté. Au travers de balades, elle nous invite à (re)découvrir des lieux chargés d’odeurs et y associe des parfums, souvent confidentiels. Elle nous partage avec passion ses déambulations et nous donne des idées pour nos dimanches à Paris ou ailleurs.

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LE NEZ EN L’AIR

Le coin shopping

Sapin de Lumière – Diptyque

Herba fresca – Guerlain

Crédits photo : Le Nez en l’air

#8 L’odeur du blé avant la moisson

Certaines odeurs sont tellement puissantes qu’elles ont le pouvoir d’influer sur nos destins. En entrant dans nos alvéoles pulmonaires, elles laissent leurs empreintes sur notre âme, comme des tatouages indélébiles. Pour moi, c’est l’odeur du blé qui a changé ma vie. Si je n’avais pas senti, enfant, ces épis jaunes et mûrs, je ne serais pas devenue qui je suis aujourd’hui. D’ailleurs, dans mon métier où tout n’est qu’olfaction,  il n’est pas une journée sans que les parfums de mon enfance  resurgissent comme par surprise et me renvoient à la ferme où je suis née, entres les champs de blé et de betteraves de Picardie.

Chaque année, le début des grandes vacances annonçait le temps des moissons. Les jours précédents, l’air chaud et sec se chargeait de poussières jusqu’à devenir suffocant, brûlant la gorge et les narines. Avant de monter sur sa moissonneuse-batteuse, mon père attendait patiemment que le taux d’hygrométrie soit au plus bas pour que les épis soient bien secs. Mais du haut de mes six ou sept ans, je guettais le ciel en implorant la pluie. Dès les premières gouttes, je me précipitais dans les champs pour assister au spectacle : en touchant la terre, la pluie d’été se gorgeait de parfums et de poussières, dans un nuage olfactif d’une puissance inouïe. Je me laissais envelopper avec délice par cette odeur chaude, sèche et humide à la fois. Ce rituel me mettait toujours dans un état de bonheur indescriptible. Après seulement, les grandes vacances pouvaient commencer.

« Je me laissais envelopper avec délice par cette odeur chaude, sèche et humide à la fois. Après seulement, les grandes vacances pouvaient commencer. »

Tout au long de l’été, la vie à la ferme réservait des plaisirs olfactifs que je recherchais avec une impatience fébrile. Plus encore que les œufs de Pâques ou les cadeaux de Noël, j’attendais l’odeur qui envahissait le corps de ferme lorsque la benne déversait ses grains sur la grille du silo, dans une explosion de poussières blanches. Sur le tracteur, je m’imprégnais de l’odeur de la paille, rêche et douce à la fois, qui assèche le nez comme le beurre d’iris que je ne connaissais pas encore. Devant le parterre de rosiers que mon père avait offert à ma mère un été, je jouais à reconnaître les parfums de chaque rose, tous différents. Et quand j’étais chargée de tondre la pelouse et de nettoyer l’hélice, je me shootais avidement à l’odeur de chlorophylle du jus de gazon… Lorsque venait l’automne, les odeurs changeaient aussi vite que le paysage. Mes souvenirs d’enfance sentent alors la terre mouillée et la pulpe de betteraves, l’humus qui colle aux bottes, la pierre à fusil, le gibier et les feux de cheminée. Puis l’hiver et le printemps apportaient tour à tour leurs lots d’émotions parfumées, qui toutes se sont logées au creux de ma mémoire, pour toujours.

A douze ans, l’âge où je pus enfin conduire seule le tracteur, j’eus une véritable révélation : je voulais travailler dans le parfum et continuer à traquer les émotions olfactives chaque jour de ma vie. Quelques années plus tard, mon BTS de biochimie en poche, je passais le concours d’entrée de l’Institut Supérieur International du Parfum (ISIPCA) à Versailles, où je fus malheureusement recalée. Mais c’était sans compter sur l’odeur du blé ! Lors du grand oral, j’avais eu l’occasion d’en parler à un membre du jury, Monique Schlienger. Cette femme extraordinaire, qui avait fondé l’agence Cinquième Sens huit ans plus tôt, avait aussi passé son enfance dans une ferme et nous avions partagé nos souvenirs de moisson, de bottes de paille, de chasse et de vêlage. A une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore, elle se mis alors en tête de me retrouver et demanda à son mari chasseur de rechercher mon père. Heureusement ce réseau social là fonctionna vite, et Monique m’invita à la rejoindre dès le mois d’octobre chez Cinquième Sens, où elle me fit découvrir toutes les facettes de la création olfactive. Je devins son assistante technique, puis son associée, avant de reprendre le flambeau et de racheter l’entreprise en 2004…

« l’odeur de la paille, rêche et douce à la fois, qui assèche le nez comme le beurre d’iris que je ne connaissais pas encore »

Les odeurs de mon enfance, qui m’ont guidée jusqu’à la porte de la société que je dirige aujourd’hui, se manifestent depuis tous les jours, comme pour me rappeler sans cesse que c’est grâce à elles que je suis là, dans ce bureau au pied de la Tour Eiffel, alors que mon frère et ma sœur sont chacun dans une ferme de l’Aisne. Il y quelques années, « mon » odeur de blé a même resurgit de façon fulgurante alors que j’effectuais une analyse olfactive pour une grande marque de whiskies. Tapie derrière la macération d’orges, elle s’est imposée dans un nuage de poussières blanches, rêche, poudrée et précieuse comme celle qui marquait le début des vacances. Un peu plus tôt, je m’étais déjà sentie télé-transportée dans la cour de la ferme familiale en travaillant sur des grains de café torréfiés tout droit importés de Colombie et du Guatemala. En me concentrant pour traverser l’écran noir tendu par le feu de la torréfaction, je découvrais des notes blanches lumineuses, aveuglantes comme celles de début juillet dans les champs de blé. Une autre fois, c’est une huile essentielle de Vétiver qui m’a fait revivre le retour de mon frère du Canada avec une précision hallucinante. En une fraction de seconde, j’étais dans la cuisine, à le regarder sortir de sa valise un pot d’une mixture inconnue : du beurre de cacahuètes à l’odeur de paille et de noisette. A d’autres moments, ce sont des odeurs de talc, de bois de Oud ou de rhizome d’iris qui surgissent du passé avec leurs flots d’images et de souvenirs. J’ai toujours adoré ces voyages dans le temps, qui m’ont aidé tout au long de ma formation à mémoriser une infinité d’odeurs, comme ce galbanum qui projette à chaque fois sur mon écran intime ma mère écossant des petits pois frais. Souvent, je me dis que mon métier n’est qu’une continuité émotionnelle de mon enfance à la ferme. Sans cette richesse sensorielle inouïe et cette odeur de blé avant la moisson, ma vie aurait certainement pris une toute autre orientation…

 

Propos recueillis par Sonia Buchard

Isabelle Ferrand

A la tête de la société Cinquième Sens depuis 2004, Isabelle Ferrand en a fait une agence d’expertise professionnelle incontournable dans l’univers du parfum, tant dans les domaines de la création que de la formation et de l’animation. Après avoir rejoint la fondatrice Monique Schlienger en 1985, elle créé l’Olfactorium et développe le centre de formation olfactif pour les professionnels : marques, sociétés de matières premières, distributeurs et revendeurs… Elle développe ensuite des concepts d’animations olfactives pour le grand public dans des domaines d’application très diverses comme l’œnologie, les arômes du chocolat, les épices, ainsi que des animations spécifiques pour les marques. Aujourd’hui, elle lance Cinquième Sens Coworking, le premier espace de travail et de laboratoire partagés dédié au parfum et à sa création.

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Découvrez la nouvelle offre de coworking dédiée
aux professionnels de l’olfaction, au pied de la Tour Eiffel !

Crédits photo : Pxhere

#7 Questionnaire olfactif de Régis Wargnier

Mondialement connu pour Indochine, son chef d’œuvre oscarisé, le cinéaste Régis Wargnier revient cette année sur la scène médiatique avec un premier roman étonnant, Les Prix d’Excellence chez Grasset. Créateur d’images virtuoses, l’écrivain-réalisateur se révèle aussi être hyper-sensible à l’univers des odeurs et des parfums. Petite interview olfactive d’un homme qui aurait aussi rêvé de devenir nez…

Une odeur qui vous rendait heureux enfant ?

Celle de l’Ambre solaire. C’était l’odeur de la plage en été, du soleil et des bains de mer. Je me vois à cinq ou six ans descendre par les remblais pour atteindre la plage de Carnac, dans le Morbihan. L’odeur huileuse et sucrée m’enveloppait avant même d’arriver sur le sable. Dans les années 1950, presque la moitié des baigneurs s’aspergeaient de cette huile au parfum de patchouli, introuvable aujourd’hui. Il suffit de prononcer son nom pour faire jaillir une myriade de souvenirs de grandes vacances. Et puis c’est un joli mot, « ambre », non ?

Une autre odeur de vacances ?

L’odeur de l’océan Atlantique. Celle d’un port de Bretagne, puissante, que l’on respire à plein poumons en arrivant de Paris. Elle annonce le début des vacances. J’aime les odeurs marines, elles me revitalisent. Je pense aussi à l’odeur unique de la thalassothérapie, qui nous fait basculer dans un autre univers dès la porte d’entrée. Je recommande celle de Quiberon, la pionnière et la meilleure.

Une odeur de voyage ?

L’odeur de l’Inde. Je l’ai découverte il y a longtemps, dans un souk de Bombay. C’est l’odeur de la cuisine et des épices, un puissant mélange de cardamome, de curry, de curcuma, de cumin, de coriandre fraîche et de menthe. Plus tard, je l’ai retrouvée dans une épicerie de la rue Montorgueil à Paris, où j’aimais aller humer les sacs de jute aux parfums d’Orient. Malheureusement cette caverne d’Ali Baba a fermé…

« On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. »

Une odeur qui mérite le déplacement ?

Il y avait à Tokyo un marché aux poissons à l’odeur absolument hallucinante. Sur les bâches noires et luisantes s’étalait la chair rouge des thons aux côtés des poulpes et des calamars géants. Le spectacle était d’une puissance folle, mais j’ai toujours pensé que si je l’avais filmé, il aurait manqué l’odeur du sang de poisson, de l’iode et des algues. On avait l’impression de manger la mer à chaque inspiration. Il m’est arrivé de faire visiter ce lieu à des amis, mais je dois avouer que je me suis senti un peu seul dans mon délire olfactif !

Une odeur dérangeante ?

Celle de l’eau de javel et de la serpillère sale. Lors de mon premier voyage en URSS, juste après la chute du mur, je me suis senti poursuivi par deux odeurs entêtantes : celles des produits d’entretien bas de gamme et de l’essence frelatée. En 1997, pendant le tournage du film Est Ouest (avec Sandrine Bonnaire et Catherine Deneuve), ces odeurs sont restées omniprésentes dans tous les lieux où j’allais. Elles resteront toujours pour moi associée au film et à la Russie.

Une odeur rassurante ?

L’odeur des garages. Depuis que je suis tout petit, j’aime l’odeur de l’essence et de l’huile de moteur. Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. Je m’y sens bien.

Une odeur flash-back ?

Celle du charbon. Pendant le tournage des scènes finales d’Indochine, toute l’équipe du film était gênée par l’odeur des mines voisines, qui chargeaient l’air de poussières. Pour moi, cette odeur particulière avait le pouvoir de me transporter instantanément du Vietnam à l’appartement de mon enfance, chauffé au poêle à charbon. J’aimais accompagner mon père à la cave pour aller remplir le seau à la lueur de l’ampoule. Le charbon était noir, salissant, j’adorais.

« Le garage est une univers olfactif fort et enveloppant. L’odeur crée la bulle. »

Une odeur végétale ?

Je suis peu sensible aux parfums floraux, je commence juste à m’y intéresser depuis peu. En revanche j’adore l’odeur des sous-bois. J’aime me sentir englouti dans la fraîcheur des arbres lors d’une marche en forêt, lorsque la canopée masque le ciel et que l’odeur de la terre se mêle à celle des écorces et des arbres. J’aime cette sensation sauvage et puissante, protectrice. L’été, le parfum de la garrigue fait aussi partie de mes préférés, avec ses sillages de thym, de sauge et de romarin.

Une odeur du quotidien addictive ?

L’odeur de la cuisine à l’ail et à l’huile d’olive. Celle du repassage. Et celle de la cuisson du riz. J’adore l’odeur du rice-cooker, c’est celle des gens qui ont peu mais qui savent l’apprécier.

Quel parfum portez-vous ?

Je suis fidèle à New-York de Nicolaï. C’est un parfum boisé, qui sent le poivre, le citron, le clou de girofle… C’est peut-être une coquetterie mais j’aime porter un parfum que je suis sûr de ne pas sentir sur tout le monde, c’est un peu ma signature olfactive. J’aurais d’ailleurs aimé être nez, je me suis même entraîné à un certain moment.

Quels sont vos parfums préférés ?

Selon moi, Eau sauvage de Dior, Vétiver de Carven et Habit Rouge de Guerlain restent des parfums inégalables, bien supérieurs aux molécules actuelles. J’ai un souvenir ému de Vent Vert de Balmain, porté par une certaine Marianne rencontrée sur les quais de la Trinité-sur-Mer lorsque j’étais adolescent. Plus récemment, j’ai été troublé au Festival d’Arcachon par Pour un Homme de Caron, un accord lavande vanille original. J’aime aussi reconnaître les notes boisées de Féminité du bois et Chêne de Serge Lutens. Pendant l’enregistrement de la voix-off d’Indochine, je me souviens aussi que Catherine Deneuve m’avait offert L’ombre dans l’eau de Diptyque. J’ai aussi souvent offert des parfums à mes acteurs et mes actrices…  De mémoire, j’ai dû choisir Coco de Chanel à  Sabine Azema et Monsieur Chanel à André Dussolier. Mais qu’il y a-t-il de plus difficile que d’offrir un parfum ?

 

Propos recueillis par Sonia Buchard

Régis Wargnier, cinéaste et écrivain

Régis Wargnier a réalisé dix films pour le cinéma, dont Indochine (1991), avec Catherine Deneuve, qui a remporté un Oscar et cinq Césars. Il a également réalisé Une Femme Française (1995), avec Emmanuelle Béart, Est Ouest (1999) avec Catherine Deneuve et Sandrine Bonnaire, Man to Man (2005) avec Joseph Fiennes et Kristin Scott Thomas, Pars vite et reviens tard (2007) d’après le roman de Fred Vargas. Les Prix d’excellence est son premier roman.

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#2 – Fausse Candeur

Je me souviens d’un blanc immaculé, d’un blanc si pur qu’il faisait naître des monts enneigés, jusque sur une table d’écolier. Il se blottissait dans la main — la neige n’y fondait pas, elle s’y sentait bien. Car elle était cachée, nichée, tapie au fond d’un pot comme un secret : celui de la colle Cléopâtre, la seule, la vraie.

Ce blanc chassait le bavardage du monde. Il lissait le roulement des mots — il suffisait d’ouvrir le petit pot. Alors s’échappait la plus belle des odeurs amandées. Comme elle dialoguait avec le nez ! Les deux, on ne pouvait plus les séparer. Lentement, je respirais… Encore et encore. Toujours et à jamais. C’était s’imprégner d’une alchimie silencieuse, d’un parfum-amant. Les notes, à la douceur vénéneuse, se fondaient avec le blanc. Elles l’incarnaient tout entier.

Le pot avait la forme d’un moule à savarin qui aurait poussé, comme si le nez de Pinocchio avait connu un destin pâtissier (Philémon et Baucis s’étaient bien mués en arbres). À l’origine, n’était-il pas en aluminium ? J’aimais ce puits étroit où se glissait la langue orangée du couvercle venue lécher l’anneau de colle parfait où j’imaginais d’invisibles patineurs qui glissaient. L’odeur m’enivrait. Ce pot était une boîte de Pandore, impossible d’y résister. L’ouvrir tenait de la manie impérieuse, comme l’on convoque le sillage d’une mère absente en tournant le bouchon qui fait d’un parfum, une apparition.

Encore aujourd’hui, je m’étonne de ce blanc si éloquent. Tous les blancs ne draguent pas les narines ! Il y a des blancs muets (la neige), des blancs qu’on rêverait de faire parler (la porcelaine), des blancs discrets (l’écume de l’océan, le sucre glace, la farine), des blancs nacrés, élégants (le magnolia), des blancs citronnés ou musqués (les roses anciennes), des blancs qui embrasent la nuit (le jasmin), des blancs solaires (la fleur de tiaré), des blancs conquérants (la peinture), des blancs insolents (l’ail), des blancs érotiques (un drap de lin qui porte l’empreinte de l’aimé), mais rien qui n’égale la puissance évocatrice de la colle Cléopâtre.

D’où vient ce charme puissant, ensorcelant ? Du seul nom : Cléopâtre ? Un nom-talisman… puisque les lettres C, O, L, E annoncent la couleur (elle me colle à la peau, dit-on, et il faudrait se méfier). Est-ce plutôt la beauté de l’accent circonflexe qui mime le sourcil espiègle de la reine des séductrices, immortalisée par Liz Taylor ? D’elle(s), le pouce caressait le profil parfait sur le couvercle orange, rainuré. Il parcourait ces traits en relief comme les hiéroglyphes d’un mystère. Ce parfum d’amande, né du blanc lactescent, pourquoi était-il aussi troublant ?

Ce parfum d’amande, né du blanc lactescent,
pourquoi était-il aussi troublant ?

Et voilà que, loin de la candeur de l’enfance, j’entrevois : le panier de figues de Cléopâtre, les deux cobras lovés et le venin qui, bientôt, viendra troubler la blancheur lactée. Iras et Charmion, les servantes fidèles de la reine, tendent en tremblant le panier qui lie la morbidité à la suavité. L’ultime échappée, la fatale liberté… Les doigts d’Iras — ou de Charmion ? — hésitent et se crispent sur les feuilles de palmier tressées. Les reines meurent-elles vraiment ? Alors, pourquoi pleurer l’immortalité ?

L’incroyable est là : deux cobras, en posture de combat, qui étendent leur coiffe, pareille à un somptueux némès. Un souffle, puis leurs crochets cannelés, prêts à frapper la chair dénudée. Cléopâtre qui, après les lèvres des hommes les plus intrépides, embrasse cette fois l’éternité. Et le sang, quelques perles sur la peau, un dernier collier, qui se met à couler. Dans le panier, la sève des figues aussi a suinté, à l’endroit même où elles gardent la cicatrice d’avoir été cueillies — arrachées à la branche qui les portait comme des trophées.

Iras se cache les yeux pour ne pas voir le rouge gagner. Chez Cléopâtre, la blancheur a toujours irradié ! N’importe quel homme, elle l’aurait fait plier. Plus sûrement que le fer, plus sûrement que l’épée. Quoi de plus puissant que la beauté ? Pourtant, les mains d’Iras n’arrivent pas à gommer la réalité : Cléopâtre se meurt. Sur son visage, les doigts d’Iras collent, comme chaque image à sa rétine, qui restera gravée. C’est la mort qui vient, c’est la liberté. Le latex des figues, à la blancheur de lait, sent l’amande amère, le foin coupé. Il sent la coumarine — un mot qui ferait rêver. Mais Cléopâtre emporte le rêve, et mille secrets. L’amour n’aura cessé d’en semer, tel un arbre qui n’en finit pas de ramifier.

Je referme le couvercle orangé.

Dites-moi, parfums, de combien de mondes gardez-vous la clef ?

Ballynakill, 1er janvier 2018
INGRID ASTIER

L’auteur : Ingrid Astier

Écrivain au tempérament insulaire (Yeu, Irlande, Polynésie), Ingrid Astier est aussi marraine de la Brigade fluviale. Après des ouvrages dédiés à l’hédonisme, elle publie en 2009 Le Goût des parfums (Mercure de France). Son premier roman, Quai des enfers (Gallimard, Série Noire, 2010), reçoit le Grand prix Paul Féval de la Société des gens de lettres et trame une intrigue entre art et parfums. Suit Angle mort (Prix Calibre 47), un roman noir romantique, fiévreux et épique, salué comme la relève du polar français et Haute Voltige (2017), un roman entre ciel et terre qui renoue avec la veine du roman d’aventures. Le Petit éloge de la nuit (Gallimard, Folio, 2014) est en tournée au théâtre avec Pierre Richard.

www.ingridastier.com

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La colle Cléopâtre

Les adresses parfumées de l’auteur, Ingrid Astier

Parfums de bouche
TABLE de Bruno Verjus
3 rue de Prague, 75012 Paris
Tél. : 01 43 43 12 26.

Car manger, c’est d’abord humer ! À respirer absolument : l’odeur délicieusement caramélisée de ses rares ormeaux au beurre noisette.

Parfums sur tiges :
ODORANTES
9 rue Madame, 75006 Paris
Tél.: 01 42 84 03 00.

Des roses moussues qui sentent la résine, des pois de senteur enivreurs… Si vous voulez respirer une cuisse de nymphe émue, c’est là !

Parfums hauts en couleurs :
SENNELIER
3 quai Voltaire, 75007 Paris
Tél.: 01 42 60 72 15.

Ah ! le parfum de la térébenthine… Ou celui des mines de crayons… Mais encore celui de la boutique, aux vitrines boisées, qui retient l’imaginaire prêt à s’échapper.

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Crédits photos :  La Parenthèse Inspirée, portrait de Francesca Mantovani pour Gallimard